Les affamés by Silène Edgar

Les affamés by Silène Edgar

Auteur:Silène Edgar [Edgar, Silène]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Science-Fiction, Dystopie, Littérature française
ISBN: 9782290164006
Éditeur: J'ai Lu
Publié: 2019-06-14T22:00:00+00:00


* * *

1. Henry-David Thoreau, La Désobéissance civile, trad. Jacques Mailhos, Éd. Gallmeister, 2017.

Délinquants

* * *

C’est vrai, il ne se rend pas compte. Il reste planté là, sur le trottoir, comme un con, tandis que Salomé et Vincent avancent vers la bulle de la DRAC. Gilles reste à ses côtés.

« Tu habites vraiment au dernier étage ?

— Oui.

— Tu as une terrasse ?

— Oui… J’aimerais bien vous inviter, mais ma femme est là, sans doute. Elle n’est pas très aimable.

— J’imagine bien, dit Gilles, goguenard.

— Tu imagines quoi, exactement ?

— Que tu ne viendrais pas courir la gueuse en banlieue si tu étais heureux en ménage.

— Ça te gêne ?

— Non. Mais t’as pas intérêt à lui faire du mal, sinon je te coupe les couilles.

— Ça te gêne un peu quand même, alors.

— Tu crois que t’es le premier à la repérer, notre voltigeuse ?

— …

— Elle les attire, les mecs comme toi, des vieux crados qui aiment la chair fraîche. Tu es un ogre.

— Mais… non ! Je ne suis pas comme ça ! proteste Charles, en comprenant que si, bien sûr, il ressemble à ça.

— Tu ne craches pas sur les jeunes, si ?

— Je ne suis pas un vieux dégueulasse.

— Mais Salomé, quand même, tu la trouves bandante.

— Ce n’est pas que ça. Je t’assure. Je la trouve belle, oui, mais c’est surtout… l’ensemble. Ses mots sur les murs, sa façon d’être, de voltiger comme tu dis, on dirait un papillon, tu ne peux pas l’attraper, chaque fois que tu t’approches, il s’en va, il te frôle parfois en partant, mais tu sais que si tu le touches, tu le condamnes, alors tu te retiens.

— OK, concède Gilles, un peu surpris par l’envolée lyrique de Charles, mais je te surveille. »

L’écrivain a l’impression d’avoir affronté un dragon, ou un père. Il se remémore alors son face-à-face avec celui de Jude. Un petit homme sec comme un coup de trique, un de ces grands industriels qui avaient tout perdu ou presque lors de la révolution, mais encore au faîte de sa puissance lorsque Charles était venu le rencontrer pour lui expliquer qu’il voulait épouser sa fille.

« Elle fera bien ce qu’elle veut », lui avait-il dit.

Ce n’était pas vrai, bien sûr, Charles avait dû montrer patte blanche et justifier de son succès pour que la cadette de la famille épouse un homme de la classe moyenne. Son statut d’artiste avait joué. Quant à Jude, elle avait bien compris qu’il lui offrirait tout ce que son propre père ne posséderait bientôt plus. Il avait tant triché et usé des rouages de l’évasion fiscale qu’il avait fini par avoir de sacrés problèmes. Et puis, scandale, il avait été mis en cause dans des affaires de harcèlement sexuel. Ses secrétaires, nombreuses, jeunes, s’étaient épanchées quand il avait dégringolé de son piédestal. Alors il s’était pendu, finalement. La mère de Jude, qui était déjà une femme translucide avant tout cela, s’était enfermée pour de bon dans leur maison de Sologne, où elle consacrait depuis ses journées à entretenir un magnifique jardin paysager.



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